Rouben Melik poète amis.roubenmelik@gmail.com
Saisons souterraines: les dernières années 1981-2007
«… Comme je me sens bien à Dieppe ! Est ce toute mon enfance qui m’envahit ?...Ce pays est en moi, non par son paysage tant de fois découvert avec la même passion, mais par l’étrange échange qui se fait de lui en moi, de moi en moi grâce aux souvenirs que j’y reporte ou même que j’invente grâce à lui… »
Lettre de Rouben Melik à Ella son épouse 21 juin 1993
cahier manuscrit de
l'Ordinaire du jour
(archives de l'IMEC)
Abram Krol illustrateur
son épouse, Rouben Melik
et Eliane Dobzynski
Lettre à Ella
Dieppe 1996
Presse de Normandie : accueil de Rouben Melik par la municipalité de Dieppe 1984
Ne venez pas mourir
Ne venez pas mourir oiseaux des larges mers
Oiseaux tumultueux qui rassemblez vos ailes
Sur vos corps apeurés, blessés par les amers,
Dans les vents engloutis près des champs de coraux
Oiseaux froids de l'hiver filez dans les ruelles
Où vous frôlez les soupiraux !
Oiseaux croirai-je en vous malgré vos becs tordus
Accrochés à ces fils qui finissent les lampes
Dans les matins neigeux que les amants perdus
Parcourent tout en long pour savoir de quel coin
Vous lancerez oiseaux vos grands vols sur les rampes?
Grands souvenirs m'êtes-vous loin !
Visage tendre et gestes lents, oiseaux mortels
C'est d'une autre que d'elle en moi que vous me dîtes
Le jour fini reviendra t-elle? Mais si tels
Sont oiseaux largement vos grands vols souverains
Dans le théâtre éteint je me joins à vos fuites
Oiseaux suivant les rails des trains.
Depuis cette enfance chargée de souvenirs, Rouben Melik est resté fidèle à Dieppe.
A maintes reprises, il y séjourne: dans les années 1950-1960, puis en 1972 accompagné d’Andrée Chédid, Jean Claude Renard, Luc Bérimont pour le Mai des poètes.
Il aime revenir dans cette ville qui allie le charme populaire à la beauté du site.
Le port, le cri des mouettes, les pêcheurs au petit matin, les bains de mer où les galets fouettent le dos, les boutiques, la montée vers la petite église Notre-Dame de Bon Secours, les enfants du dimanche amenés par le Secours populaire.
Il est incontestable que cette ville a stimulé son inspiration : de nombreux poèmes dans l’ensemble de son œuvre évoquent la mer, le port, les oiseaux du grand large, les marins et même l’aventure des grandes découvertes (Christophe Colomb).
En 1984, Rouben et Ella y acquièrent un petit logement près de l’église Saint Rémy. Pour ces purs parisiens, Dieppe est l’évasion qui demeure citadine, mais ils aiment aussi faire de longues promenades à pied dans l’arrière pays normand.
Pendant plusieurs années, ils retrouvent leurs amis, le poète Charles Dobzyznski et son épouse Eliane, ont aussi un appartement face à la mer et l’après-midi les voilà tous les quatre attablés dans les petits cafés pour de longues parties de belote. Ils reçoivent les enfants et les petits-enfants.
Peu à peu ils s'intègrent dans cette ville et le député maire Christian Cuvilliez
accueille le poète, l'honore en le faisant Citoyen d'honneur de Dieppe .
On est ici aussi en pays partagé avec les amis.
Le voisin du petit studio se trouve être le philosophe
Cioran. L'une de ses réflexions inscrites dans l'ouvrage
De l'inconvénient d'être né :
Une ancienne femme de chambre à mon
« Ça va ? » me répondit sans
s’arrêter «Ça suit son cours »
Cette réponse m’a secoué jusqu’aux larmes...
inspire Rouben Melik qui écrit l’Ordinaire du jour
un long poème de plusieurs quatrains commençant
par cette itération : Ça suit son cours
Ça suit son cours la montre à l'envers du cadran
Pour se faire à l'endroit où son cœur s'ébruite
Une trace où repasse heure à heure la gran
de aiguille sans savoir si la suit la petite
Mais depuis la mort d'Ella en 1997...
Le vieux monsieur aux cheveux blancs se promène
désormais tout seul, chapeau ou casquette sur la tête,
il marche le long des rues de Dieppe, les mains dans
le dos, une pause au café des Tribunaux, s’arrête
longuement à la librairie dans la rue principale,
longe la promenade de la mer, il cherche l’ombre
d’Ella, et en souvenir pose des fleurs sur le petit
balcon face à l’église. Toujours élégant, il sort parfois
avec son chat en laisse et se repose sur un banc
dans le petit square près du château.
Dans ce grand mouvement d'automne où j'entre avec
Ma force neuve, à peine est ce d'un corps durable
Et trop la nuit me hante encore mesurable,
Si morte la mémoire et le cœur mis à sec.
Offrande du soleil que vient trouer le bec
De l'oiseau déchiré, sois la part séparable
Et le partage fait d'un coin de terre arable
Où moisit la moisson dans l'oubli d'un échec.
Chaque mot d'être dit limite la lumière
A l'espace brutal de la mort coutumière
Où la saison finit. Dans ce grand mouvement
D'automne où j'entre avec mon ancien héritage
Je décompose l'ombre et je suis mon otage,
Contre toi, soleil, face à toi qui me démens .
Le Temps de vie
Il n’écrit plus
Dans les années qui suivent, on le rencontre à Paris au cours de
longues promenades à la recherche de ses souvenirs et de ses amis poètes.
Le 21 mai 2007 au matin il rejoint Ella dans la mort.