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 Rouben Mélik :  l'Arménie , du pays rêvé à la réalité

Rouben Melik

Ce pays que j'accueillis à ma naissance et qui forma le fond de toile de mon existence, roula dans mon esprit des rêves et des réalités dont je ne sentis la lourde présence ,que, lorsque pour la première fois je pus entendre les lointaines berceuses chantées en une langue aux sonorités captivantes et pus saisir de mes mains les voiles insoumises des danseuses foulant à leurs pieds des siècles de domination et de servitude ,de désespoir et de fatalité ..
Enfant,  je pouvais mentir à propos de tout et de rien, mais je ne pouvais désavouer ni les mots soulignés du dictionnaire, ni la tâche de mon doigt sur la carte du monde,  ni l’écho de ma chambre, ni mes cahiers d’écolier, ni plus tard mes cahiers de poète.

Préface au recueil Passeurs d’Horizons 1948 dans lequel figure le poème: La légende arménienne

- KANOUN instrument arménien
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miniature arbre avec oiseaux et fruits rouges, 4 oiseaux au pied de l'arbre
Le Mont Ararat , le monastère Khor Virap

Le  monastère de Khorvirab  que domine le mont Ararat

alphabet arménien

La Procession est le titre du recueil important  de Rouben Melik (1942-1985)    

Dans un des plus beaux poèmes à la tonalité

épique  "Veilleur de pierre », le poète, en charge

de la mémoire collective, égrène pour le lecteur la

lourde liste des douleurs subies en regardant

passer son peuple :   

Pour aller vers une autre terre   

Promise aux nouvelles cultures.

 

Tout un peuple est en moi gérant son avenir,               

En marche assurément sur les chemins terrestres     
Par-delà ce désert où ne va pas finir                      
           
Le somptueux accord des antiques orchestres             

La tradition biblique et l’espoir révolutionnaire   s’accordent ici dans une poésie patriotique qui tourne 

le dos à la tonalité dépressive si souvent rencontré  

pour redonner sens au destin d’un peuple élu et     l’engager à s’inventer un avenir.

 

Un corps en moi prend forme, ajoute Melik, touchant ainsi à l’essentiel, la guérison, la 

résurrection de ce corps individuel et collectif à  

la  fois, anéanti parla catastrophe, métaphore de la tâche dévolue au démiurge de redonner forme à ce

qui l’a perdue.    

Le roc de la montagne, alors convoqué, associe à

cette résurrection d’un corps solide entre les mains

du "veilleur de pierre " la reconquête d’un territoire.   Le très long poème, épopée moderne, se clôt sur cette dernière image :

Le rêve en moi toujours meilleur   
Où tout un peuple en ma mémoire
Depuis le temps le plus ancien        
Chemine sur son territoire               

Portant en lui ce qu’il devient.        

Qu’ils plongent dans le fonds chrétien ou chantent 

leur espoir dans le communisme, nombreux sont le  

poètes qui, comme Mélik, s’adossent à des croyance 

partagées pour redonner forme au corps collectif du  peuple arménien. 

Le lecteur aura cependant remarqué l’ambiguïté 

de la forme qui se dessine ainsi dans ce double    mouvement de reconquête de l’espace : celle de la 

croix, verticale et horizontale, signe d’espoir           

solidement planté à tous les carrefours des pays chrétiens, mais aussi spectacle lamentable d’un  

corps supplicié

livre anthologie poésie arménienne
article de presse : le Monde nov 1973
couverture de livre , 2 mains se rejoignent
Rouben Melik souriant devant un batiment

Rouben Melik à Erevan 

CE CORPS VIVANT DE MOI,

poèmes de Rouben Melik

traduits en arménien 

 

L'âme des arméniens de l'étranger est en Arménie; dispersés dans

le monde , ils se chauffent auprès de son feu. William Saroyan 

La terre arménienne, ce sont ces montagnes du Caucase , l'Ararat,où s’est accrochée  l’arche de Noé, pays de pierres, de rochers désertiques, de volcans où l’on découvre au hasard des sentiers en remontant les vallées, des monastères des premiers temps du christianisme.

Dans le Veilleur de pierre paru en 1961, Rouben Melik se fait le veilleur

du peuple arménien et de la terre où il fut exterminé .

 

                                                                                                

       Tout un peuple est en moi depuis l’événement

       Que l’histoire a marqué comme un fatal emblème

       Depuis la clameur sourde où s’éleva dément

       Comme un chant de douleur le cri de l’anathème,

 

      Peuple en moi que je porte en sa diversité

       Son nom le dit, qui vient des pages du vieux livre,

       De retourner au temps, non à l’éternité

        Le long mûrissement du mal qui le délivre

 

Ce pays des lointaines et proches origines, Rouben Melik ne le découvre qu’en 1968Il y retourne souventaccompagné de ses amis poètes et noue des liens fructueux avecles intellectuels.

Ainsi en1973  sous sa direction paraît aux E.F.R:  L'Anthologie de la poésie Arménienne.Tout un collectif d’écrivains, poètes français et francophones travaille à partir des traductions littérales faites en Arménie. 

Le Monde titre en novembre 1973 dans sa page culturelle : 

 Le chant collectif du peuple arménien 

5 strophes de poème en arménien

La légende arménienne

LA LÉGENDE ARMENIENNE

La légende arménienne au coin de la misère, 
Sur le disque cassé des nuits occidentales, 
Dans les chambres d'hôtel aux murs de cathédrales 
La légende arménienne a bercé la lumière. 

La légende arménienne aux lèvres de la mère, 
Aux rêves de l'enfant dans les villes sans rues, 
Dans les mains sans travail dans les bouches vaincues, 
La légende arménienne enterre sa misère. 

C'est la légende aux trois mille ans des émigrés, 
Chambres d'hôtel pavés de bois et les vieux ports, 
Et les carreaux du ciel sur les fronts séparés, 
Chambres d'hôtel des Arméniens et passeports. 

La légende arménienne aux pas des capitales, 
Aux doigts de la danseuse, au village oublié, 
Sur les cordes du thâr, au village oublié, 
La légende arménienne aux pas des capitales. 

Plaines de l'Orient et les noms familiers, 
Dans les miroirs du temps sur les portes en croix 
Dans les rires les pleurs les livres les cahiers 
C'est la légende à la page une ou trente-trois 

C'est la même légende au fond des ressemblances 
Des trois mille ans des trois millions de l'une ou l'autre 
Dans l'une ou l'autre nuit au fond des espérances, 

La légende arménienneest la nôtre et la vôtre.

La légende arménienne aux murs de cathédrales

Dans la seule montagne enterre sa misère,

La légende arménienne a le point de lumière

Et donne le soleil aux plans d'hydrocentrales

PASSEURS d'HORIZONS

FRANCOISE NICOL

Extrait de l'article intitulé: 

La tribu errante dans la poésie arménienne  

d'après 1915<paru dans Errance et marginalité 

dans la littérature , cahier 32 , p 165-17   

Presses universitaires de Rennes   

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